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Peut-on encore créer quelque chose de “neuf” en art ?

  • Photo du rédacteur: ARTGAPI
    ARTGAPI
  • 31 juil.
  • 4 min de lecture
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Entre l’obsession de l’originalité et le recyclage des formes, la création artistique contemporaine oscille entre répétition assumée et réinvention permanente. Et si le “neuf” n’était plus ce que l’on croit ?


Le mythe de la table rase


Depuis la Renaissance, l’artiste occidental est perçu comme un génie solitaire, inventant ex nihilo des formes inédites, des visions jamais vues. Pourtant, même Léonard de Vinci étudiait sans relâche l’anatomie humaine pour nourrir ses figures, tout comme Picasso s’imprégnait de l’art africain ou Goya des gravures médiévales.

Aujourd’hui, dans un monde saturé d’images et de références, la question se pose avec une acuité nouvelle : peut-on encore créer quelque chose qui n’a jamais été vu, lu ou entendu ?


Le règne de la citation et du remix


De nombreux artistes contemporains revendiquent le recyclage créatif comme mode de production :

  • Sherrie Levine a simplement re-photographié des œuvres de Walker Evans dans les années 80, questionnant la notion même d’auteur.

  • Richard Prince a été poursuivi pour avoir réutilisé des clichés d’Instagram dans ses œuvres, vendues à des millions de dollars.

  • En musique, des genres entiers comme le lo-fi hip hop ou la vaporwave s’appuient sur le sampling et la nostalgie visuelle pour créer une atmosphère “neuve”, mais fondée sur l’ancien.

Ce phénomène n’est pas marginal : 72 % des œuvres numériques les plus partagées sur les réseaux sociaux artistiques contiennent au moins un élément visuel référentiel ou recyclé.


Créer ≠ inventer ?


L’idée d’originalité absolue semble de plus en plus désuète, voire anachronique.

Dans un monde saturé d’images, de références, de formats, il devient presque impossible de prétendre à la “page blanche”.

À sa place émerge une autre posture, plus humble, mais tout aussi féconde :

Créer, c’est recontextualiser : prendre un matériau existant et lui donner un nouvel éclairage. Lorsqu’un artiste comme Kader Attia intègre des objets coloniaux dans des installations contemporaines, il ne crée pas à partir de rien, mais déplace le regard, re-situe l’histoire, interroge la mémoire.

Créer, c’est faire dialoguer des formes, des codes, des langages : le street art, par exemple, hybride calligraphie, typographie, peinture classique et slogans politiques. Barbara Kruger, avec ses collages de mots et d’images empruntés à la publicité, a redéfini dans les années 80 les frontières entre art visuel et langage médiatique.

Créer, c’est aussi interpréter : l’acte artistique n’est plus toujours celui d’un inventeur, mais d’un traducteur d’émotions, de récits, de tensions. À l’image du chorégraphe Boris Charmatz, qui convoque l’histoire de la danse pour mieux en extraire des gestes nouveaux, puissants, situés.


Cette approche fait écho à la célèbre formule du philosophe Roland Barthes, qui affirmait dès 1968 que « l’auteur est mort » : ce n’est plus lui qui détient le sens de l’œuvre, mais le lecteur, le spectateur, l’interprète. L’artiste devient alors un assembleur, un chef d’orchestre de signes, un éditeur d’univers.


Dans cette logique, l’innovation ne repose plus sur la création d’un objet jamais vu, mais sur la capacité à révéler autrement ce qui est déjà là, à activer de nouvelles connexions, à inspirer des regards inédits sur le monde.


Et le public, que cherche-t-il ?


Selon une étude menée en 2023 par Hiscox Art Online,

  • 63 % des acheteurs d’art de moins de 40 ans déclarent privilégier les œuvres qui leur “rappellent quelque chose” à celles “entièrement abstraites ou innovantes”.

  • 56 % affirment être sensibles à des œuvres qui mélangent les époques, les codes ou les références culturelles.

Ce chiffre témoigne d’un changement de paradigme : la nouveauté n’est plus forcément dans la forme, mais dans la combinaison, l’intention, le récit.


Internet et IA : vers une nouvelle définition du "neuf" ?


À l’ère du scroll infini, Internet agit comme une gigantesque fabrique à déjà-vu. Sur les réseaux sociaux, chaque idée, chaque geste, chaque esthétique semble avoir été postée, ou repostée, ailleurs, quelques jours plus tôt, par quelqu’un d’autre, dans un autre pays, souvent avec plus de likes. Dans ce contexte de saturation visuelle et de recyclage permanent, l’artiste ne peut plus prétendre à l’originalité absolue. Il ou elle devient alors autant curateur·rice de références que créateur·rice d’œuvres.

Le “style” devient moins une rupture qu’une narration visuelle personnelle, un langage qui mêle influences assumées et identité marquée.

Ce que l’on considère comme “neuf” aujourd’hui ne tient donc plus à la pure invention, mais à la sincérité du propos, à la transparence de la démarche, à l’ancrage dans un contexte. Créer, c’est désormais autant dire qui l’on est, que révéler comment on pense et à partir de quoi on compose.

C’est dans ce glissement que s’inscrit un autre bouleversement majeur : l’irruption de l’intelligence artificielle dans la création artistique.


Faut-il y voir une révolution ou un simple miroir du passé ?


Techniquement, les modèles d’IA ne “créent” pas au sens traditionnel du terme : ils apprennent à partir de données existantes, réassemblant des fragments du déjà-là. Sur ce point, l’IA n’invente rien elle extrapole, elle prédictibilise, elle compose. Mais c’est dans les usages qu’un terrain inédit s’ouvre :

  • Des artistes comme Refik Anadol manipulent des flux de données pour générer des environnements visuels immersifs, entre rêve numérique et architecture mentale.

  • D'autres, comme Sofia Crespo, fusionnent le biologique et l’artificiel pour donner naissance à des créatures visuelles impossibles à peindre à la main.

Ce que permet l’IA, c’est une forme de “bricolage accéléré”, de néo-surréalisme algorithmique qui réactive le potentiel poétique de la machine. Elle devient un outil de mutation esthétique, un tremplin vers des formes hybrides, souvent inclassables, qui brouillent les frontières entre auteur, code et spectateur.


Alors, faut-il continuer à chercher le neuf ?


Peut-être pas. Ou du moins, pas comme avant.

Le “neuf” ne serait plus un absolu à atteindre, mais un effet produit par l’écho entre passé et présent, entre codes connus et agencements inédits. Une œuvre peut bouleverser, non pas parce qu’elle est inédite, mais parce qu’elle fait sens maintenant, ici, pour quelqu’un.


Le neuf, est-ce un mirage utile ?


La vraie question pourrait être : qu’est-ce qu’on cherche quand on cherche du nouveau ? Du jamais-vu ? De l’émotion ? Du sens ? Un miroir différent ?

Et si l’art ne consistait plus à faire du neuf, mais à faire du juste, du nécessaire, du frappant, même avec des formes anciennes ?

La nouveauté ne réside peut-être plus dans l’objet, mais dans la connexion qu’il active.

 
 
 

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