L’art est-il en train de devenir trop “woke” ?
- ARTGAPI

- 16 juil.
- 3 min de lecture

Entre dénonciation, inclusion et cancel culture, les musées et artistes sont-ils devenus les nouveaux champs de bataille idéologiques ?
Un mot devenu piège
“Woke” : un mot qui divise, enflamme les plateaux télé et polarise les opinions. À l’origine, ce terme afro-américain signifiait “éveillé” aux injustices sociales, en particulier au racisme systémique. Mais en quelques années, il a été détourné, caricaturé, jusqu’à devenir une critique facile adressée à toute initiative jugée trop inclusive, militante… ou simplement progressiste.
Et dans le monde de l’art, ce glissement sémantique fait des vagues. Car la culture n’échappe pas à la polarisation ambiante : accusations de “cancel culture”, de “réécriture de l’histoire”, de “militantisme déguisé”… Que se passe-t-il réellement dans les institutions culturelles ?
Des musées qui revoient leurs récits
Depuis une dizaine d’années, de nombreuses institutions revoient leurs parcours de visite, leurs acquisitions et leurs discours. Ce qu’on appelle “la décolonisation des musées” est devenu un chantier majeur en Europe comme en Amérique du Nord. En France, le musée du quai Branly a restitué 26 objets au Bénin en 2021. Le musée d’Orsay a recontextualisé certains cartels d’œuvres en lien avec l’histoire coloniale.
“On ne réécrit pas l’histoire, on la raconte autrement, avec plus de voix”, affirme une conservatrice du Louvre, qui a récemment revu une partie des cartels pour intégrer le regard d’historiens africains.
Mais ces efforts d’inclusion sont parfois perçus comme une forme d’autocensure, voire de censure pure. En 2022, une exposition sur Gustave Courbet à Montpellier a suscité des débats après l’ajout d’un texte sur la masculinité toxique et le regard masculin dans l’art du XIXe siècle.
Des artistes au cœur du débat
Les artistes, eux aussi, sont interpellés. Certaines œuvres sont retirées, d’autres sont critiquées, non pour leur esthétique mais pour ce qu’elles représentent. En 2017, à New York, le tableau “Open Casket” de Dana Schutz représentant Emmett Till, jeune Afro-Américain lynché en 1955, a été vivement contesté car l’artiste est blanche. Des manifestants ont réclamé son retrait, dénonçant une “appropriation de la douleur noire”.
D’autres, comme l’artiste française Pamina Séa, militante écoféministe, reçoivent des menaces en ligne à chaque prise de position.
“On nous demande d’être engagés, mais pas trop. Et surtout pas clivants.”, déclare-t-elle dans une interview donnée au Journal des Arts.
Ce que dit le public
Selon une enquête du Ministère de la Culture (France, 2023) :
62 % des moins de 30 ans estiment que les musées doivent refléter “la diversité des identités et des luttes sociales”.
Mais 47 % des plus de 55 ans pensent que “la culture devient trop politique”, au détriment du plaisir esthétique.
L’étude révèle aussi que les jeunes publics attendent des formes d’engagement, que ce soit à travers la programmation, la diversité des artistes, ou les formats numériques. Sur TikTok et Instagram, des créateurs comme Théa Artsy ou @ArtActivistNow touchent des centaines de milliers d’abonnés avec des contenus mêlant art, justice sociale et critique institutionnelle.
Un art entre liberté et responsabilité
La question centrale reste celle-ci : jusqu’où l’art peut-il, ou doit-il, être politique ?
Pour certains, l’engagement est inhérent à la création, surtout dans un monde en crise. Pour d'autres, le militantisme nuit à la liberté artistique, et transforme les œuvres en manifestes trop didactiques.
Le philosophe Alain Badiou écrivait déjà en 2014 :
“L’art n’a pas à suivre les consignes de la morale. Mais il n’est pas non plus neutre.”
Vers un art lucide ?
Plutôt que de se demander si l’art est “trop woke”, ne devrait-on pas interroger ce que cette critique révèle : un malaise face aux évolutions de la société, une peur de perdre ses repères esthétiques, ou une difficulté à intégrer de nouvelles voix dans l’espace culturel ?
Et si, à travers ces tensions, l’art ne faisait que remplir son rôle : nous déranger, nous déplacer, nous obliger à penser autrement ?
Chez Artgapi, nous croyons que la pluralité des points de vue, la discussion et l’audace font partie du processus artistique. Notre plateforme n’est ni une tribune militante, ni une galerie aseptisée, c’est un espace vivant, où l’art questionne, dérange, et rassemble.



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