L’art est-il (encore) un acte politique ?
- ARTGAPI
- 18 juin
- 4 min de lecture
Parler d’art engagé semble presque désuet, tant l’expression est galvaudée. Pourtant, à chaque coin de rue, sur chaque mur, dans chaque galerie, se nichent des œuvres qui dérangent, questionnent, dénoncent. Alors, l’art est-il encore politique en 2025 ? Ou l’a-t-il toujours été ?

L’art comme miroir et résistance
Depuis toujours, l’art a été le reflet d’un monde en mouvement.
Francisco Goya peignait les horreurs de la guerre. Picasso signait Guernica comme un cri muet contre les violences du franquisme.
Aujourd’hui, les artistes ne changent pas de posture, mais de médium, de terrain et de ton.
Prenons JR, cet artiste français mondialement reconnu pour ses collages monumentaux en noir et blanc. En installant le regard d’une migrante sur le mur frontalier entre le Mexique et les États-Unis, il détourne l’architecture du contrôle pour en faire une scène d’empathie.
Ai Weiwei, figure incontournable de la contestation artistique en Chine, qui utilise installations et performances pour dénoncer la surveillance, la répression et la crise migratoire mondiale.
En remplissant la façade de la Konzerthaus de Berlin avec des gilets de sauvetage ramassés à Lesbos, il oppose à l’esthétique classique une violence contemporaine crue.
L’espace public, théâtre de la contestation
Le street art, par sa nature illégale, éphémère, et sa proximité avec les marges sociales, reste aujourd’hui l’un des vecteurs les plus directs d’un art politique. Il occupe des lieux non conventionnels, intercepte les regards dans l’espace public et parle à tous, sans filtre.
Des artistes comme Combo Culture Kidnapper, qui mêle pop culture et messages antiracistes ou pro-laïcité, posent des questions dérangeantes sur les murs de Paris. Il confronte les passants à leurs biais, avec des détournements visuels aussi provocants qu’efficaces.
Quant à Miss.Tic, figure pionnière du street art féministe, elle a peuplé les rues de Paris de silhouettes de femmes libres, irrévérencieuses, poétiques. Des slogans ciselés qui disaient « Je suis une femme, je suis une œuvre » ou « Je fais de mon corps un lieu public ». Jusqu’à sa mort en 2022, elle a incarné une vision de l'art comme miroir critique de la société, accessible et urbain, engagé sans être dogmatique.
En 2005, l’artiste britannique Banksy investit le mur de séparation israélo-palestinien avec une série de pochoirs puissants, devenus emblématiques de l’art engagé. Parmi eux, la Flying Balloon Girl, une fillette s’élevant au-dessus du mur, tirée par des ballons, évoque l’espoir d’échapper à une réalité enfermante. Le Flower Thrower, quant à lui, détourne l’imagerie de la révolte : un homme cagoulé lance non pas un cocktail Molotov, mais un bouquet de fleurs. Ces œuvres, simples en apparence, condensent un message politique d’une grande subtilité : la résistance passe aussi par l’imaginaire.
L’ère numérique : dilution ou démultiplication du politique ?
Avec l’arrivée de l’IA et des outils numériques, une nouvelle génération d’artistes engagés naît dans les fils d’Instagram, les galeries NFT ou les performances virtuelles.
Est-ce pour autant la fin de l’engagement ? Pas nécessairement.
L’activisme artistique ne disparaît pas : il change de forme, s’adapte aux nouveaux médiums. Il devient mutant, à l’image de notre époque.
Le collectif français Obvious, connu pour avoir vendu à Christie’s un portrait généré par intelligence artificielle (Edmond de Belamy), interroge avec finesse la notion d’auteur, de mémoire collective et d’identité. Leur démarche repose sur un paradoxe : utiliser une technologie perçue comme froide et impersonnelle pour soulever des questions éminemment humaines.
Dans un tout autre registre, les créateurs queer et racisés sur TikTok s’emparent des codes de la viralité pour déconstruire les normes, questionner les représentations, et faire passer des messages puissants sous forme de trends, de maquillages performatifs, ou de reconstitutions historiques. C’est un militantisme moins frontal, plus contextuel, souvent détourné, mais toujours subversif. L’art ne crie plus toujours. Parfois, il murmure, il joue, il infiltre.
Philosophie de l’engagement artistique
Mais finalement, faut-il que l’art soit politique ? Est-ce un devoir ou un choix ? Peut-il aussi se contenter d’être esthétique, sans message, sans mémoire ? La question divise.
Le philosophe Jacques Rancière nous invite à déplacer le débat : « L’art politique ne consiste pas à délivrer des messages, mais à créer des formes de visibilité inédites. » En d’autres termes, l’acte politique ne réside pas tant dans le contenu explicite de l’œuvre que dans son pouvoir de révélation : ce qu’elle montre autrement, ce qu’elle fait voir à ceux qui ne regardaient plus, ce qu’elle donne à sentir, à penser, à vivre.
Ce n’est donc pas toujours dans le slogan que l’art est politique, mais dans le déplacement du regard, la réappropriation des espaces, la mise en lumière de réalités occultées. Le silence peut être tout aussi engagé que le cri.
Et si...
L’acte politique ne réside plus uniquement dans le contenu de l’œuvre, mais aussi dans son mode de diffusion, dans le lien vivant qu’elle crée entre les gens. Car dans un monde saturé d’images, ce n’est pas ce que l’on montre qui compte, mais comment on le fait exister ensemble. Et si demain, les artistes utilisaient Artgapi non pas seulement pour exposer, mais pour fédérer ? Pour créer une communauté sensible et éveillée, qui débat, qui partage, qui agit ?
Et vous, à quand remonte la dernière fois où une œuvre d’art vous a fait changer d’avis ?
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